L'OBS (Le Plus) du 24/04/2015. Juliette Gréco entame sa tournée d'adieux. À 88 ans, la chanteuse
se lance dans un ultime tour de piste avec près de 25 dates d'ores et déjà
annoncées jusqu'en avril 2016, dont un concert en Israël prévu le 4 mai
prochain. Gisèle Felhendler, porte-parole de l'association Sortir du
Colonialisme, membre de la campagne BDS France, lui adresse une lettre ouverte.
Chère Juliette Gréco,
C'est avec beaucoup d'émotion que je me permets d'écrire à la femme libre, la
belle et immense artiste que vous êtes, que j'aime et que j'admire. C'est aussi
avec étonnement et amertume que j'apprends votre décision de maintenir votre
concert prévu le 4 mai en Israël dans le cadre de votre tournée d'adieux.
Une grande tristesse de vous voir conclure une si magnifique carrière par ce
qui, plus qu'une erreur, est une faute, morale et politique.
2.200 personnes ont été tuées à Gaza
Cet été, de très nombreuses manifestations ont réuni des millions de personnes
à travers le monde pour se tenir aux côtés de la population de Gaza martyrisée,
pour dénoncer l'entêtement du gouvernement israélien à poursuivre une politique
criminelle, avec le soutien d'une autoproclamée "communauté
internationale".
Selon les Nations Unies, Israël a assassiné l’été 2014 plus de 2.200 personnes
à Gaza, plus de 500 enfants selon l’Unicef.
Je ne veux pas croire que la femme indépendante que vous êtes puisse à ce point
tomber dans le piège de la propagande israélienne en acceptant de vous produire
en Israël, cautionnant ainsi malgré vous ce que les dirigeants de ce pays
attendent de vous, leur offrant une occasion revée de légitimer leur
agissements meurtriers.
Ainsi, ni la nature profondément raciste de cet État, ni l'ethnocide pratiqué,
ni la violence de l'occupation ne vous semblent des raisons suffisantes pour ne
pas l'honorer par votre présence.
Une situation d’apartheid
Votre intention annoncée de promouvoir le dialogue est certes généreuse, mais
quand toute tentative de dialogue se transforme en demande de reddition, peut
on encore y croire ? Comment imaginer un échange équilibré quand il y a
agresseur et agressé.
Auriez-vous accordé un temps de parole égal à une victime de la barbarie d'où
qu'elle vienne et à son tortionnaire ? Juliette Gréco, ce que vous qualifiez de
dialogue semble malheureusement s'apparenter au mieux à de la naïveté, sinon de
la compromission.
Dire que le boycott ne sert pas à grand chose est une insulte aux militant-e-s
anti apartheid qui ont appliqué cette forme de résistance active et pacifique
pour abattre le régime totalitaire de ségrégation en Afrique du Sud, tout en
supportant la violence brutale de la répression.
C’est le peuple palestinien opprimé lui même, un peuple en lutte pour sa
liberté qui, dans un appel au boycott culturel d’Israël lancé en 2004, demande
aux artistes du monde entier dont vous faites partie de refuser de normaliser
par des concerts en Israël une situation d’apartheid.
Une insulte à ceux qui militent pour une société plus juste
C'est également une insulte aux trop peu nombreux citoyens et citoyennes
israélien-ne-s, qui militent pour une société plus juste, au mépris de leur
propre liberté, comme ces jeunes déserteurs qui forcent le respect en refusant
de porter les armes en territoire occupé.
Des citoyens israéliens pour le boycott, "Boycott From Within"
(boycott de l’intérieur), viennent de publier sur leur site une lettre à votre
attention où ils vous rappellent notamment que vous jouerez devant un public
ségrégué, que plusieurs millions de Palestiniens, sous le contrôle militaire
d’Israël ne pourront pas assister à votre concert.
Boycott que vous pratiquez pourtant vous même en refusant d'aller chanter dans
les villes FN, ce dont nous ne pouvons que vous féliciter. Juliette Gréco,
l’extrême droite est pourtant la même, quelque soit la langue qu'elle parle.
Seriez-vous moins critique que le quotidien israélien "Haaretz", qui
ose s'indigner du fait que le projet politique du gouvernement de Netanhyaou et
Lieberman a pour unique objectif de transformer Israël en un État ethniquement
et religieusement pur ?
Votre place est aux côtés des peuples en lutte
Juliette Gréco, en allant jouer en Israël aujourd’hui comme si de rien n’était,
c'est permettre, à votre corps défendant, que ça continue, et ça, je ne peux
pas l'imaginer.
Votre place est aux côtés de celles et ceux qui affirment courageusement leur
solidarité avec les peuples en lutte. Où serait le courage à se rendre dans une
puissance coloniale – la plus longue occupation militaire de ce XXIe siècle –
forte, surarmée, sans aucun scrupule à utiliser les artistes pour légitimer une
politique de séparation, à faire comme si l'art était totalement déconnecté des
sinistres réalités.
Juliette Gréco, ne leur faites pas ce cadeau.