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Une Autre Voix Juive et M. Tariq Ramadan

Texte publié
dans Le Monde en décembre 2003


M. Alain Finkielkraut a pris, dans une récente émission télévisée, des positions relatives à l’expression d’Une Autre Voix Juive (voir le Monde du 16/10/03) qui s’apparentent à une guerre d’éradication ; quelque temps après, il prenait à l’encontre de M. Tariq Ramadan une posture d’Inquisiteur. M. Tariq Ramadan répond à sa façon à M. Finkielkraut dans une tribune du Monde daté de Mercredi 29 novembre dans laquelle il prend pour étendard l’expression d’Une Autre Voix Juive.

Initiateurs de ce Manifeste, nous aurions à première vue toutes raisons d’être heureux de la tournure des choses. M. Ramadan ne prend-il pas position contre les replis communautaires, pour une vision universaliste des droits de l’homme, contre des intellectuels médiatisés qui s’en écartent? Ne donne-t-il pas l’exemple, lui, musulman, en apportant son appui à un Manifeste signé par "des citoyens français juifs ou d’origine juive" ?
D’où vient alors que la lecture de l’article de M. Ramadan nous laisse perplexes sur la limpidité de sa démarche ?

Les critiques sérieuses qui suivent ne nous empêchent aucunement de considérer l’itinéraire complexe de M. Ramadan et de souhaiter voir sa réflexion s’approfondir : le temps doit lui être accordé pour ce difficile parcours pour lequel il n’existe pas de raccourci.

A lire attentivement ce qu’écrit M. Ramadan, il nous semble pouvoir discerner quatre motifs de préoccupation :

- Premièrement : il ne nous semble pas que M. Ramadan mesure avec exactitude les ravages produits par un amalgame et une expression, intellectuels juifs qui, en dépit qu’il en ait, ne peuvent en aucune façon être considérés comme des "maladresses"; il est préoccupant de lire sous sa plume des excuses a minima pour repartir de plus belle; dans le contexte d’aujourd’hui, à supposer que cela ait jamais été le cas, il ne suffit pas de défendre une cause juste pour être cru sur parole.
Nous nous empressons d’ajouter pour qu’il n’y ait pas d’équivoque, que ce redoutable écart dans une pensée élaborée ne fait pas à nos yeux de M. Tariq Ramadan un criminel, et ne justifie pas la violence des injures dont certains l’accablent.

- Deuxièmement : M. Ramadan livre, à partir du Manifeste Une autre voix juive, une exégèse relative à la démarche des signataires. C’est son droit, bien entendu. Ce ne l’est plus de le faire en donnant le sentiment que cette exégèse est la seule canonique, la seule autorisée en quelque sorte.

M. Ramadan n’a pas noté comme il aurait dû que les signataires de ce Manifeste étaient divers dans leurs démarches intellectuelles. Nous prenons ici sous notre seule responsabilité la liberté de lui dire pourquoi il nous est impossible de souscrire à l’idée selon laquelle nous serions, comme le dit M. Ramadan, "obligés de revendiquer notre identité juive afin de mieux la dépasser dans l’expression de la citoyenneté française".

Deux aspects semblent avoir échappé à M. Ramadan : "Nous sommes fils et filles de cette République française qui a fait citoyens nos ancêtres". Cette République... C'est-à-dire celle qui déclara à la face du monde : "Les hommes naissent libres et demeurent égaux en droits"; phrase qui, comme on le sait, fit se lever dans toute l’Europe les hordes de tous les tenants d’un ordre social condamné, décidés à mener contre ce principe une guerre d’éradication, dont les prolongements ne sont pas achevés aujourd’hui, puisque c’est le sens même du débat sur le contenu de la future Constitution Européenne.

Quant à nous revendiquer comme Juifs, cela n’a de sens à nos yeux qu’à cause de cette scène du film Amen où l’on voit le Vicaire apparaître brièvement, transi d’épouvante et qui murmure "Je ne comprends pas... Ici , Dieu n’existe pas"; mais avant que le Vicaire n’ait réalisé qu’à Auschwitz "Dieu n’existe pas", des millions de Juifs d’Europe avaient pu le réaliser dans leur expérience quotidienne. Le choix pour nombre d’entre eux de cette République française ne provenait d’aucune transcendance douloureuse mais d’un choix lucide pour un destin d’hommes libres, c'est-à-dire le choix de se libérer à la fois de l’inconcevable et du ghetto.

- Troisièmement : la diversité des signataires du Manifeste Une Autre Voix Juive suppose qu’on en respecte absolument les termes; il ne nous apparaît pas comme allant de soi que toutes celles et ceux qui ont signé ce texte soient classables d’emblée dans les enjeux du FSE; naturellement nombre d’entre eux s’y retrouveront pour des raisons qui leur appartiennent, mais c’est respecter la démarche individuelle de chacune et de chacun que de ne pas déduire du Manifeste un sens qu’il ne se donne pas explicitement. En user différemment, peut donner à penser qu’il y a là une manipulation politique d’autant plus répréhensible qu’elle se présente sous le signe de l’universalité.

La publication du Manifeste Une Autre Voix Juive ne se prête et ne se prêtera à aucune récupération politique quelle qu’en soit l’origine; voix collective de citoyennes et de citoyens français Juifs "qui ne peuvent supporter l’horreur devenue quotidienne au Proche- Orient", elle n’est ni une association en devenir, ni un prête-nom, ni un cheval de Troie.

- Quatrièmement : dans tout texte élaboré, la chute est primordiale ; celle de M. Ramadan donne à penser : "Qu’importe d’où viennent les individus, si, dans leur volonté de changer le monde, ils refusent de façon déterminée de différencier les victimes et de distinguer les bourreaux". Nous sommes de ceux qui pensent que le gouvernement de M. Sharon fait de la Palestine un lieu "où Dieu n’existe pas" et d’Israël un Etat oppressif pour son peuple; nous sommes de ceux qui pensent qu’après Sabra et Chatila, après Jénine, M. Sharon relève de la Cour Pénale Internationale où l’on juge en principe les crimes contre l’humanité; mais là n’est pas le sens du Manifeste "Une Autre Voix Juive". Celles et ceux qui s’y reconnaissent veulent avant tout contribuer à ce qu’au Proche–Orient on n’ait plus jamais à s’interroger sur les victimes ni à y chercher des bourreaux. Pour se faire, la reconnaissance des droits fondamentaux du peuple palestinien comme la reconnaissance de l’Etat d’Israël, l’exigence de sécurité pour tous, leur semblent des impératifs incontournables.

Si on l’a bien compris c’est le sens même de l’accord de Genève: l’heure n’est pas à la vindicte même si on peut comprendre les sentiments de celles et de ceux qui n’en peuvent plus de souffrir sans fin; l’heure est à la construction de l’espoir. C’est ce qui manque terriblement dans la Tribune de M. Tariq Ramadan.
    
Auteurs
Olivier Gebuhrer et Pascal Lederer



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Mise à jour : 30.10.2005
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