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Juive
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Débats
A propos de "deux
poids,
deux mesures" : il faut renoncer à cette expression dans le
mouvement antiraciste.
Discussion
UAVJ avec d'autres participants,
colloque du MRAP le 13 mai 2006
16 mai 06, Pascal Lederer
Réponse
à
une amie :
Je réfléchis à ton
intervention samedi sur
l'expression "deux poids deux mesures".
Ton argumentation est: "il vaut mieux
être juif en France
aujourd'hui, les démonstrations officielles de soutien aux
victimes d'actes antisémites sont exagérées par
rapport à celles qui concernent les victimes d'actes anti-arabes".
Autrement dit, on en fait trop pour les Juifs.
A première vue, puisque, commme
Richard Wagman qui disait la
même chose, et toi, vous revendiquez une identité juive,
l'argument est imparable. Indiscutablement
il ya des réactions
officielles plus marquées, et pour nombre d'entre nous,
les
manifestations ordinaires de racisme qui sont monnaies courantes pour
les populations immigrées pauvres ne nous atteignent pas dans la
vie quotidienne. Si ce sont des Juifs qui le disent...
Ai-je donc eu tort de demander, comme une bonne partie de la commission
racisme-antisémitisme du mrap, de renoncer à cette
expression dans le
mouvement anti-raciste?
A y bien réfléchir, je pense qu'il faut ajouter à
ma réponse d'hier ("On n'en fait pas trop
pour les Juifs, on
n'en fait pas assez pour les autres victimes du racisme") des
éléments qui y manquaient.
Il me semble que la journée d'hier a fourni des pistes
supplémentaires de reflexion qu'il faut prendre en compte.
Monzat l'a rappelé: La droite israélienne
considère que la France, réservoir le plus important de
Juifs de la diaspora, doit fournir les plus grands renforts
démographiques possibles au potentiel global d'Israël. La
campagne de Sharon appelant les Juifs de France à
l'émigration a eu en apparence un effet limité: 3000
Juifs français ont émigré en Israël l'an
dernier. On peut penser que c'est marginal, mais c'est en augmentation
de 50 % par rapport à 2004. Persuader les Juifs de France qu'ils
sont en danger est un élément important de la
stratégie de renforcement du potentiel israélien.
La question du sentiment que nos
compatriotes juifs ont d'être ou
non en sécurité en France a, dans les conditions
actuelles, un impact stratégique qui dépasse de
loin les
impressions individuelles de tel ou tel d'entre nous. Il y va, d'une
part, de la liberté de manoeuvre de la diplomatie
française, soumise à des pressions internationales fortes
de la part des USA, avec les campagnes menées aux USA il y a
deux ans, et relayées en France par le CRIF et les intellectuels
organiques, et pas complètement éteintes, sur
l'antisémitisme violent qui règnerait en France.
Il y va d'autre part de la stabilité de la société
française elle même. Si demain, sous l'influence de
développements dramatiques et de tensions renouvelées au
Proche Orient, les violences anti-sémites reprenaient,
avec l'augmentation qui a été constatée au
cours des années 2000-2004, il n'y a aucun doute que les
populations juives pauvres, au contact des populations immigrées
dans les quartiers périphériques, en subiraient le plein
effet, et personne ne peut prévoir les limites des sentiments de
mal-être qui en résulteraient.
Faut-il risquer un départ massif de Juifs français en
Israël, à cause d'un sentiment, fantasmé ou
fondé sur la réalité, de leur
insécurité en France?
Dans ces conditions, si j'ai raison, faire la démonstration, non
seulement aux yeux des principaux intéressés, mais aux
yeux de l'opinion publique mondiale, que l' Etat, les pouvoirs publics,
l'opinion publique, veillent et ne tolèrent pas les
manifestations d'antisémitisme a une importance
stratégique.
Ceux qui sont motivée par
la lutte pour une paix juste et
durable au proche-orient devraient être les premiers à
redouter l'aggravation d'un sentiment d'insécurité,
entraînant peut-être un départ significatif de
Juifs français pour Israël. Or répondre
à
ceux qui, à tort ou à raison, pensent que leur
sécurité n'est pas assurée en France, craignent le
retour des pogroms,etc., "il y a deux poids et deux mesures" ou "on en
fait trop pour les Juifs" est complètement à
côté de la plaque, et contribue à ériger la
direction actuelle du CRIF comme seul défenseur fiable contre
l'antisémitisme.
Je pense donc que cet apparent déséquilibre des
réactions officielles devant les manifestations
d'antisémitisme, au dela de l'aspect d'instrumentalisation de
l'antisémitisme à des fins de racolage électoral,
a des raisons d'être importantes, et qu'il faut y regarder
à deux fois avant de légitimer l'idée courte et
dangereuse qu'"on en fait trop pour les Juifs". Je pense comme je l'ai
dit hier, qu'on n'en fera jamais assez contre l'antisémitisme,
mais qu'il faut en faire beaucoup plus contre les autres victimes de
racisme.
Ton intervention m'a permis cette réflexion plus
approfondie, je t'en remercie.J'espère que tu prendras en compte
mes arguments!
Pascal
Lederer
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