
Une
Autre
Voix
Juive
|
Débats
Réponse
de membres du collectif d'animation UAVJ
aux propos
de deux responsables de l'UJFP , recueillis par Denis Sieffert et
Marjolaine Normier,et parus
dans Poilitis, 8 novembre 2007
Michèle Sibony et Houria Ackermann, récemment
élues coprésidentes de l'Union juive
française pour la paix (UJFP), ont livré dans les
colonnes de votre journal (Politis n°… ) des
« réflexions »
lapidaires et réductrices dont la teneur ne
reflète en rien la diversité, les
sensibilités, les analyses et les objectifs d’une
association telle que la nôtre.
Celle-ci s’est
donné pour tâche, en tant que rassemblement de
personnes d’origine juive – et non juives
–, de faire entendre publiquement une autre voix que celle
défendue par les organisations communautaires comme le Crif
dans le conflit qui divise actuellement le Proche-Orient. Notre but est
d’exprimer notre solidarité avec le peuple
palestinien dans le combat pour ses droits tels que définis
précisément par les résolutions de
l’ONU et les conventions internationales. Ce travail
d’engagement public et de dénonciation des
injustices perpétrées dans les Territoires
palestiniens par les gouvernements israéliens successifs a
été dévoyé publiquement
dans votre journal par nos nouvelles présidentes. La
démocratie et la politique d’ouverture dont nous
nous revendiquons y ont été également
bafouées au profit de positions sectaires et de
méthodes polémiques que nous nous targuions
d’avoir abolies avec notre rejet des anciennes pratiques
staliniennes.
En se félicitant de voir élire une direction
« sépharade », en
taxant leurs opposants politiques d’islamophobes, nos
présidentes inscrivent leur positionnement dans une vision
ethniciste et raciste qui recouvre par ailleurs la ligne politique de
certains mouvements actuels, partisans d’un soutien et
d’une alliance inconditionnels avec les gouvernements et
mouvements radicaux de l’islam politique. On retrouve dans
leurs affirmations les thèmes devenus récurrents
depuis un temps et qui ont contribué à
créer la confusion idéologique et les dissensions
qu’elles prétendent dénoncer.
1° Se réjouir de voir des
« sépharades »
élues à la tête de
l’association – sous-entendant que les dissensions
politiques tiendraient à l’origine de nos membres
et que seuls des sépharades seraient les garants
d’une juste ligne politique – nous paraît
proprement scandaleux, comme cette différenciation des
membres d’une association de façon ethniciste,
sinon racialiste - signifiant que l’origine
« ethnique » implique une rupture
politique, et laissant entendre que ce débat aurait lieu
d’être par rapport aux buts que nous nous
assignons. A aucun moment ce problème n’a
été évoqué dans les
débats qui traversent notre association ; il
s’agit là d’un calquage de
débats qui ont lieu en Israël, mais n’ont
pas lieu d’être dans la situation actuelle que nous
vivons ici.
2° Une large majorité d’entre nous
– improprement dénommée
« minorité » dans
l’article – est taxée
d’ « islamophobe »
pour prétendument « refuser de se
prononcer contre l’islamophobie ». Nous
qui luttons depuis toujours contre le racisme, à
l’UJFP comme ailleurs, refusons l’amalgame
consistant à
« confondre »
« Arabes » et
« musulmans », musulmans croyants
et musulmans membres de mouvements fondamentalistes.
L’introduction de l’anathème
d’« islamophobe »
repris des imams iraniens pour discréditer leurs opposants
– afin de taxer de raciste quiconque critique la religion
musulmane ou les régimes politiques totalitaristes
– n’est pas sans soulever des doutes sur la bonne
foi de ceux qui s’adonnent à ce jeu dangereux. Il
n’est d’ailleurs pas sans rappeler la
façon dont l’Etat israélien et ceux qui
le soutiennent de manière inconditionnelle brandissent le
chiffon rouge de l’antisémitisme dès
que la moindre critique est formulée à
l’encontre de sa politique coloniale.
La critique de la religion ou de certaines de ses pratiques
relève d’une liberté conquise de haute
lutte depuis quelques siècles, et la religion juive ou
chrétienne n’ont pas manqué
d’en faire les frais. Nous ne voyons donc pas pourquoi
l’UJFP, association laïque, se prononcerait contre
l’islamophobie ou la christianophobie. La défense
des religions quelles qu’elles soient et le dialogue
œcuménique interconfessionnel ne sont pas dans les
objectifs qui nous réunissent.
3° Mais il y a plus inquiétant dans les propos
publics de nos deux présidentes : la confusion
qu’elles opèrent entre l’islam des
croyants et celui des adeptes d’un islam politique radical,
associée à leur volonté de
rapprochement avec cet islam politique quand bien même il
serait « traditionnel » et non
pas radical. Nous refusons de confondre
« croyants » et adeptes de
l’islam politique, que nous considérons comme
doctrine et idéologie totalitaristes. Nous ne pensons pas
qu’un mouvement religieux – donc ethniciste et
communautariste – peut être vecteur
d’émancipation ni de respect des droits
humains ; qu’il peut constituer le nouveau marxisme
qui libérerait les peuples de
l’oppression ; ni, où que ce soit,
favoriser l’instauration d’Etats de droit. De fait,
nous n’avons pas à nous prononcer en faveur ou
contre les partis politiques religieux du Proche-Orient. Nous
revendiquons une autonomie seule apte à aider les peuples
palestinien et du Proche-Orient dans leur lutte pour leurs droits
élémentaires, la démocratie et la
laïcité.
4° Ainsi, la volonté de
« confessionnaliser » le conflit
israélo-palestinien par une alliance, ici et au
Proche-Orient, avec les groupes islamistes nous semble une grave erreur
politique, quand ce conflit relève essentiellement
d’une lutte d’intérêts
territoriaux et coloniaux - et non pas religieux. Un nouveau
positionnement de l’UJFP autour de cette
théorisation serait néfaste au peuple palestinien
tout entier puisqu’il nous inscrirait dans le conflit binaire
et manichéen du « choc des
civilisations » (Orient-Occident,
christianisme-islam) -, nous piégeant dans la logique
inversée de l’axe du mal ou du bien
développée et instrumentalisée par les
gouvernements des pays bellicistes (Etats-Unis-Israël) que nos
représentantes prétendent vouloir combattre.
5° L’affirmation de nos présidentes comme
quoi la « nécessité de
dénoncer le régime iranien pour pouvoir
dénoncer la guerre régionale qui
s’annonce relèverait de la propagande de
guerre » est infâmante, et ce refus
(préventif) du droit de critiquer le régime
iranien sous prétexte que l’Iran est
l’objet des attaques américaines est une atteinte
à notre liberté de pensée et
d’agir et un déni des valeurs qui nous
réunissent. Notre opposition radicale à la guerre
qui risque de s’abattre sur le peuple iranien –
lequel en serait la principale victime – doit comporter, au
contraire et simultanément, la distanciation
d’avec le régime réactionnaire,
liberticide et antisémite du gouvernement iranien actuel.
Nous revendiquons dans le même sens le droit de
défendre tous les opposants démocrates
à ce régime – et à tous les
régimes dictatoriaux des « pays
arabes », actuellement victimes des pires
persécutions.
6° Le fait qu’il y ait actuellement des dissensions
dans toutes les associations ne justifie en aucun cas non plus que nos
coprésidentes se permettent de les accroître au
sein de notre association en créant une fracture entre
certains membres et d’autres à l’aide de
distinguos oiseux et d’anathèmes.
Le rôle de dirigeants d’association est de
rassembler et non de diviser. Nous estimons que nos deux
présidentes, fortes de leurs seules nouvelles fonctions, en
s’exprimant dans vos colonnes comme elles l’ont
fait – engageant notre association tout entière
sur des positions qui sont loin de faire
l’unanimité parmi nous –, ont
outrepassé leurs droits et agi en chefs de faction.
Nous tenons ainsi à nous démarquer ouvertement
des propos tenus dans vos colonnes, et vous demandons ce droit de
réponse en espérant contrecarrer
l’image sectaire qu’ils sont susceptibles de donner
de notre association.
|



|