Une
Autre
Voix
Juive
|
Paix et Proche
Orient
- Le
cheval et son cavalier
Article de
Nehemia Shtrasler, Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant,
Ha'aretz, 6 mai 2007
[Le malaise d'un Israélien
plutôt de gauche présent à la grande manifestation
qui a suivi la publication du rapport Winograd]
Cela faisait longtemps que je ne m'étais senti aussi
déplacé. Jeudi soir, j'étais place Rabin et
j'écoutais les paroles douloureuses de Moshé Muskal, dont
le fils Rafanel a été tué pendant la
deuxième guerre du Liban. Il a parlé avec passion des
échecs de cette guerre et a appelé Ehoud Olmert à
démissionner immédiatement. Autour de moi, il y avait des
gens qui portaient des yarmulkas (1), des colons et des partisans du
Likoud. Leurs yeux brillaient et ils chantaient : "Olmert,
démission!".
Ils n'étaient pas là pour renvoyer un premier ministre
qui avait échoué au Liban. Ils étaient là
pour prendre leur revanche sur l'homme qui avait été
derrière le plan de désengagement de Gaza, qui avait
soutenu Ariel Sharon, qui avait conçu le défunt "plan de
convergence" et qui ose parler encore d'un Etat palestinien. Ils se
battent toujours pour Pithat Rafiah et Homesh (2). Ils veulent lui
donner une leçon, et à nous aussi : quiconque ose lever
le petit doigt contre les colons aura la main coupée.
Uzi Dayan (3), qui espère capitaliser au maximum avec cette
manifestation, a brodé avec poésie sur la nouvelle
alliance surgie sur cette place entre la droite et la gauche, entre les
religieux et les laïques, entre les partisans et les opposants aux
désengagement, entre Yossi Beilin et Effie Eitam. Mais cette
alliance n'existe pas, et ne peut pas exister. Là, il s'agissait
d'une autre alliance, étrange, entre un cheval et son cavalier.
La gauche était le cheval.
Si la droite est venue manifester, ce n'était pas parce qu'elle
s'était opposée à la guerre. Elle est venue parce
qu'elle l'a soutenue avec enthousiasme. Personne n'a oublié les
cris d'encouragement de Benjamin Netanyahou à Olmert dans
l'enceinte de la Knesset, l'exhortant à annihiler,
détruire et exterminer le Hezbollah, et à ne pas
s'arrêter avant la victoire totale.
Si la droite est venue manifester, c'était parce qu'elle
était déçue de la manière dont cette guerre
a été menée. Elle aurait souhaité une
guerre plus réussie, plus destructrice, qui aurait balayé
l'autre côté. Elle est venue manifester pour couronner
d'avance Netanyahou, avec les partis d'extrême droite (Union
nationale, Parti national religieux).
Le mot "paix" n'a quasiment pas été prononcé par
les orateurs, et lorsque Meir Shalev a osé dire que
l'armée n'était pas prête à faire la guerre,
parce qu'elle était "occupée aux check points, à
procéder à des arrestations et à protéger
des colonies illégales dans les territoires", il s'est fait huer
par la foule des manifestants.
J'ai posé la question à un partisan du Likoud : si le
premier ministre qui a échoué lors de la guerre avait
été bien à droite, aurait-il coopéré
avec la gauche pour le jeter dehors? Il m'a regardé avec un
petit sourire et a répondu : "Bien sûr que non. Nous ne
sommes pas des imbéciles."
Alors, que faisaient sur cette place tous ceux qui croient à un
processus de paix avec évacuation de territoires? Qu'y
faisaient-ils, ces gens qui pensent qu'il était possible de
négocier avec le Liban pendant les six ans qui ont suivi le
retrait d'Israël du Liban et de parvenir à un accord qui
aurait compris la Syrie? Ceux qui pensent que nous nous jetons
tête la première dans la guerre, mais
délibérons des milliers de fois, faisons notre examen de
conscience et débattons à l'infini des intentions de
l'autre côté quand celui-ci ose annoncer qu'il souhaite la
paix, que faisaient-ils là-bas?
Le rapport Winograd, qui a envoyé manifester 150.000 personnes,
n'a pas recommandé la démission du premier ministre, au
moins dans la partie de ce rapport qui a été
publiée. Il a dit, en revanche, que le processus
démocratique devait suivre son cours, tout en utilisant 160 fois
le terme "échec". .
Cela est dangereux parce que ce rapport dit à tout futur premier
ministre : ne prenez aucun risque. Jouez la prudence. Ne faites pas de
vagues. Car si vous décidez de faire quoi que ce soit de
risqué, que ce soit le fait de partir en guerre ou d'entamer un
processus de paix, vous allez en prendre plein la figure. La commission
d'enquête qui sera nommée par la suite vous
reconnaîtra coupable et vous serez jeté dehors.
Donc, mieux vaut ne prendre aucune décision qui comporte un
risque, sur la guerre comme sur la paix. Jouez sur le velours,
repoussez tout et restez au pouvoir, comme Itzhak Shamir (4). A ceux
qui vous succèderont de nettoyer les dégâts que
vous aurez laissés derrière vous.
Il n'y a pas si longtemps, quand le Hezbollah a bombardé le nord
d'Israël et même tué des soldats, Sharon a dit qu'il
préférait "la paix pour les Bed & Breakfasts en
Galilée" plutôt que de donner une leçon au
Hezbollah. Et aucune commission d'enquête n'a vu le jour.
Nous avons besoin d'un dirigeant qui prenne des risques, qui soit
capable de prendre des décisions impopulaires. Je me serais
senti bien plus à l'aise dans cette manifestation si le mot
d'ordre "Olmert démission" avait été plutôt
celui de reprendre le processus de paix, ou même le "plan de
convergence", et de négocier avec la Syrie pour éviter
une nouvelle guerre.
(1) yarmulka : sorte de chapeau que portent certains juifs
ultra-orthodoxes
(2) Pithat Rafiah (bande de Gaza) et Homesh (Cisjordanie) : deux des
colonies évacuées lors du désengagement de 2005.
(3) Uzi Dayan: ancien chef du Conseil national pour la
sécurité, neveu du Moshé Dayan, il a
créé un parti, "Tafnit" (tournant), dont le programme
était très proche de celui de Kadima. Résultat aux
dernières élections : moins de 19.000 voix, soit bien
en-dessous du seuil d'éligibilité.
(4) Itzhak Shamir : 1er ministre (Likoud) de 1983 à 1984, puis
de 1986 à 1992. "Dur de chez les "durs" au sein du Likoud, il
mena une politique d'évitement systématique, mais fut
néanmoins forcé à participer à la
conférence de Madrid (1991), qui constitua dans une certaine
mesure le début du processus de paix et préluda aux
accords d'Oslo.
|
|