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Retour sur la solution finale : réflexions sur l’antisémitisme d’hier et d’aujourd’hui.

texte publié  dans      09-06-05


Le monde entier vient de célébrer avec un éclat particulier le soixantième anniversaire de la libération des camps de la mort, en particulier celui d’Auschwitz; cette unanimité devant l’indicible devrait réjouir toutes ceux qui considèrent que même si c’est avec retard, le monde a maintenant pris la mesure de ce qu’était la politique nazie. Pourtant bien des questions se posent qui n’ont jamais été évoquées dans les déclarations officielles et certaines questions demeurent encore aujourd’hui sans réponse appropriée. Nous allons ici en évoquer quelques-unes.

Est-ce la peur de la controverse ? Est-ce la peur des spectres ? La question des causes n’est en général pas abordée; on a affaire à une horreur indépassable sans causes….

Or, s'agissant d'Auschwitz, on ne peut poser les questions pertinentes sans un minimum d'analyse des conditions historiques d'accession au pouvoir des concepteurs du génocide. On connaît assez bien le rôle qu'a joué l'humiliation allemande du traité de Versailles dans la montée d'influence du parti nazi et il ne sera pas inutile d’y revenir ci-dessous. Mais il faut aussi insister sur une révolution d’inspiration communiste, débutée dans la boue des tranchées en 1918 sous l'influence de l'octobre 1917 russe, et noyée dans le sang par Noske et Ebert, tous deux éminents ministres sociaux- démocrates (1) .
Dès lors, face à la permanence et au renforcement du pouvoir soviétique, la question de la révolution bolchevique ne cessera de hanter les milieux dirigeants allemands. Les tentatives d’extrême droite de prise du pouvoir se répétèrent mais se heurtèrent invariablement aux réactions ouvrières et démocratiques. Les partis d’extrême droite ou leurs formations armées étaient trop identifiables. Ils ne furent pas les prémices ni le germe du futur Parti nazi, même s’ils lui fournirent des troupes.

Là, le mauvais "génie allemand" au sens où l’entendit et s’en préoccupa Romain Rolland inventa réellement un objet nouveau.
Cet objet ne naquit pas tout armé du cerveau d’Adolf Hitler. Toutefois, l’obsession anticommuniste de ce dernier en même temps que son observation aiguë de ce qui pouvait animer certaines couches de la société allemande, notamment ces déclassés qui n’avaient plus rien à perdre et étaient prêts à tout si on leur en donnait l’occasion, donna naissance à un amalgame singulier de 4 thèmes dont l’importance relative devait évoluer dans le temps :
- le revanchisme
- l’anticommunisme
- l’antisémitisme
- une forme singulière d’anticapitalisme.

Chacun de ces thèmes devrait en bonne logique être étudié à part; concentrons nous brièvement sur le dernier : le terme " ploutocrate " remplace rapidement celui de capitaliste; mystérieux, nouveau, il permet les amalgames et les confusions nécessaires.

Car, pour que le mélange ait lieu, il fallait trouver dans la société allemande un groupe humain identifiable porteur de l’ensemble des maux, des vices et des caractéristiques qui pouvaient être l’objet de rejet massif et immédiat; en se portant sur les Juifs, la phraséologie nazie réussissait ce tour de force. Les Juifs étaient dans l’ensemble bien "intégrés" à la société allemande; mais ceux dont on entendait parler étaient des intellectuels de gauche; ceux que l’on voyait étaient pour l’essentiel des commerçants; en les désignant à la vindicte, on donnait un caractère non–allemand aux idées de gauche, un caractère ésotérique et suspect. Marx était d’origine juive mais qui parmi les premiers adhérents du mouvement nazi pouvait se targuer d’en avoir lu une seule ligne ? Le bolchevisme était une plaie juive, intellectuelle, sur le corps sain allemand. Le capitalisme largement vomi dans la population ouvrière était lui aussi d’origine étrangère; les Juifs y avaient leur part; à cela s’ajoute pour une part certaine mais non décisive les poncifs relatifs "au peuple déicide" colportés ici et là dans certaines églises de village.

Une fois ce corpus idéologique identifié, on est encore loin des décisions qui portèrent le parti nazi au pouvoir.
Dès le début plusieurs industriels allemands "considérant Hitler comme l’homme raisonnable et qui, contrairement à Strasser, ne formulerait pas d’exigence économique" avaient financé le parti hitlérien. Mais, alors que les premières tentatives légales de prise de pouvoir s’étaient soldées par des échecs, les choses prirent une autre tournure. En 1931, Siemens, à l’occasion d’un déjeuner du Bond-Club à New York déclare que l’objectif principal des nazis "est la lutte contre le socialisme et son aboutissement logique, le communisme"; et comme on le sait, en novembre 1932, Schacht lança une adresse à Hindenburg appuyé de tous les grands noms de l’industrie allemande pour exiger "la remise de la responsabilité du pouvoir au parti national le plus important" Le pacte était scellé et plus rien ne devait lui porter atteinte dans l’avenir.

Un autre élément, sans lequel on ne peut sans doute analyser Auschwitz, est le détournement irrationnel de la pensée scientifique darwinienne sur l'évolution. La métaphore de la sélection naturelle, appliquée à la théorie raciale, amène naturellement à l'idée que la lutte pour la vie de la race aryenne, implique l'élimination des parasites, dont la prolifération peut être mortelle. Hitler déclare en 1938, devant 100 000 Allemands en délire au Palais des Sports de Berlin: " Les Juifs se comportent comme leur essence et leur instinct racial le leur imposent. De même que les doryphores détruisent les récoltes de pommes de terre, et en vérité doivent les détruire, de même les Juifs détruisent les Etats et les peuples. Contre cela, il n'y a qu'un moyen: l'élimination radicale du danger".
Cette phrase contient tout le programme de recherche, de planification rationnelle, d'expérimentation scientifique, de mobilisation de l'appareil d'Etat et des masses qui aboutissent à la Solution finale. Les Tziganes, les handicapés -premiers à subir l'extermination par les gaz-, feront aussi l'expérience de cette politique raciale nazie indissociable de la lutte anti-bolchevique, et de la conception nationaliste de la supériorité d'un peuple sur tous les autres.
Toute pensée politique, qui, si peu que ce soit, s'écarte de la conception universaliste de l'unité de l'espèce humaine, est sans doute amenée, si latitude lui en est donnée, à armer le bras du crime contre l'humanité.

Parfois, on se risque à chercher des explications dans une sorte d’absorption par l’appareil d’État nazi de tout ce qui aurait pu servir de freins internes : les traditions de la Wehrmacht comme machine huilée pour faire la guerre "suivant les règles de l’art militaire", les besoins des entreprises allemandes fût-ce en respectant totalement la logique capitaliste à laquelle de toute façon il n’était pas question de toucher; diverses contradictions internes à l’Etat- major nazi relativement à la conduite de la guerre et aux objectifs poursuivis; on ne peut nier en bloc ces différents aspects; ils nous paraissent incapables de donner une réponse convaincante à la question posée.

Nous ferons ici d’autres conjectures; à cet égard, appelons l’attention sur un film appelé "La conférence de Wannsee", sorti en 1982, et qui,curieusement, ne semble pas avoir les faveurs de la diffusion de masse. Bien qu’il soit a priori suspect de s’appuyer sur un film pour faire des conjectures historiques, nous pensons qu’il y a lieu dans ce cas de faire une entorse à la règle. Ce film n’est pas à proprement parler de la fiction. Ce n’est pas de la fiction car des relevés de notes officiels existent de cette conférence. Il ne fait aucun doute que le contenu de ces protocoles fut connu dans l’immédiat après-guerre. Il est de toute façon impossible de faire un film qui se déroule totalement à huis-clos en "imaginant" ce que les personnages de l’époque "auraient pu dire"; ce film donne donc la possibilité d’assister derrière une glace sans tain à la Conférence du génocide. Concentrons nous sur les éléments donnés par Heydrich : répétons le, il n’est pas possible de penser qu’il s’agit de propos "prêtés" à Heydrich par le délire divinatoire du scénariste.

Beaucoup de questions évoquées précédemment y sont examinées avec le souci du détail ultime, de l’organisation soumise totalement aux impératifs politiques et le souci de ne rien laisser dans l’ombre du point de vue des motivations.

1 Le génocide juif n’est qu’une étape : il n’est en rien exclusif de plans ultérieurs infiniment plus vastes. La politique du Reich vise à dominer absolument tout l’espace de l’Est de l’Europe et ceci ne peut se faire qu’en rendant esclaves des millions et des millions d’êtres humains : le système concentrationnaire nazi n’est que l’embryon de ce qui devra prévaloir. On se rappellera que l’offensive à l’Est comprend dès l’origine une plongée vers les champs pétrolifères qui bordent la Mer Noire ainsi qu’au passage les mines de charbon de la région du Don. Esclavage mais pas anéantissement ? Erreur : esclavage d’abord sous la forme du système concentrationnaire qui permet l’épuisement de la force de travail humaine qu’il n’est pas question de reconstituer même de façon élémentaire : c’est un coût que l’on doit éliminer. Puis anéantissement.

Deux grandes " raisons " sont avancées :
l’expérience allemande montre que là où l’influence judéo-bolchevique s’est montrée déterminante, aucune possibilité ne demeure d’une coexistence possible, le risque de "contamination" est trop grand.
Deuxièmement, le programme des lois raciales de Nuremberg prévoit explicitement l’instauration de la "race aryenne", comme exclusive de toute autre sur les territoires conquis.
On notera l’articulation parfaite des deux " arguments ", le second ne venant qu’en appui du premier.

2 L’entrée en guerre des Etats –Unis d’Amérique :
elle est analysée comme la preuve de la "contamination" juive des "démocraties occidentales". Ce fait ne laisse donc "aucun choix possible" autre que la guerre totale. Il ne peut donc être question de privilégier l’adversaire bolchevique et de chercher une alliance ou une neutralité quelconque de la part de puissances totalement inféodées à l’influence juive; dans ce cas, ce n’est pas le risque bolchevique qui est avancé mais le fait que le capitalisme dans ces pays ne saurait être pur : il contredit l’essence même du capitalisme nazi, est contaminé par l’ "esprit juif" entaché d’humanisme. La guerre doit être menée avec esprit de suite contre ces capitalismes abâtardis.

Là encore, extrême cohérence du propos : la démocratie sous quelque forme qu’elle se manifeste, n’est pas compatible avec le nazisme. Elle est vue comme une manifestation de "l’esprit juif". La preuve est faite qu’il peut y avoir alliance entre la représentation même du judéo –bolchevisme et les démocraties capitalistes. L’alliance ne peut se faire qu’à partir d’un unique point commun central.

3 Questions d’intendance:
si les objectifs généraux sont largement partagés par les participants (au besoin le film montre la nature et la "taille" des "résistances" éventuelles ), demeure la question de la réalisation matérielle alors même que des plans de cette nature vont solliciter d’énormes moyens "détournés" des opérations du front; réponse quasi immédiate (Heydrich, Eichmann) : ces opérations de liquidation ne sont pas des objectifs latéraux de la guerre, ils en font intégralement partie.

4 Que fait-on des demi Juifs, des familles mixtes ?
On se doute de la réponse. Mais à l’occasion de cette question examinée d’ailleurs en détail, intervient un étonnant retour sur l’histoire allemande : l’anéantissement des Juifs, hommes, femmes, enfants est le prix à payer pour l’humiliation allemande suivant la Première Guerre Mondiale.
Ce dernier aspect nous semble de la première importance. Voici pourquoi : on sait que le système nazi s’instaura par une terreur de chaque instant, mais la terreur n’explique pas l’adhésion de nombreux intellectuels, créateurs, scientifiques, dont certains de renom mondial; ils ne pouvaient ignorer la réalité de la politique nazie. Les Universités allemandes furent "nettoyées" de leurs éléments juifs, sans réaction notable souvent et avec l’appui militant de certains scientifiques, dans nombre de cas. On doit réfléchir deux fois à l’argument de l’humiliation; on doit se rappeler qu’après la Première guerre mondiale, des Congrès scientifiques mondiaux décidèrent de proscrire la présence de savants allemands.
Y a-t-il des leçons à tirer pour aujourd’hui de ce parcours hâtif ?

Sans doute plusieurs.
- Ne pas restituer le génocide juif dans son échelle réelle, c'est-à-dire sa non-exclusivité fondamentale même s’ils furent, avec les Tziganes et les Roms seuls à l’expérimenter à cette échelle, c'est-à-dire traiter du génocide juif en exclusivisme c’est couper la route à l’explication rationnelle. En conséquence, une réédition qui n’en serait pas la copie conforme garde le champ libre. C’est un risque redoutable.

- Abstraire la politique nazie des mutations capitalistes conduit à une autre impasse. Les conditions historiques ne se produisent jamais deux fois mais c’est là un fait auquel on ne peut rien, que de réaliser que le capitalisme a pu dans des conditions déterminées, non pas être complice, mais aux avant–postes de cette entreprise qui a plongé l’humanité dans l’hallucination. Il n’y a pas d’exemple connu, manifeste, d’une hésitation quelconque des cercles dirigeants de la finance et de l’industrie allemande. Ce phénomène, comme on le sait, n’est pas une singularité allemande.

- Ne pas comprendre ce qu’est l’humiliation d’un peuple ouvre la voie aux pires crimes. En ces temps de construction européenne, on serait avisé de bien le mesurer. En outre, une problématique voisine pointe au Proche–Orient; de ce point de vue la politique israélienne actuelle accumule les risques majeurs pour le peuple israélien lui même, sans même évoquer ici la question palestinienne.

- Enfin, c’est simplement injurier l’histoire que de ne pas en permanence rappeler que le "fondement" de la politique nazie n’était pas l’antisémitisme en tant que tel mais en tant que lié au bolchevisme. Il n’est évidemment pas question ici d’en tirer argument pour "réhabiliter" si peu que ce soit les actes de la période stalinienne; il n’est pas question non plus de revisiter la politique soviétique de cette période.
Le propos est bien différent : il s'agit de comprendre que le nazisme avait intrinsèquement partie liée avec la destruction de tout humanisme, l’éradication de toute idée de libération collective; ce n’était certes pas "la forme la plus exacerbée du capitalisme" comme des dirigeants communistes éminents ont pu l’écrire; mais le nazisme fut de bout en bout, de part en part, une forme du capitalisme dont les éléments dirigeants furent absolument et conjointement acteurs.

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(1) Ce rappel, on s’en doute, ne vise en aucune façon à légitimer les errements du Parti communiste allemand relativement à ses "rapports" avec la social-démocratie allemande, dans toute la période qui précéda l’arrivée d’Hitler au pouvoir; les rectifications eurent lieu. Trop tard.
   

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 Pascal Lederer et Olivier Gebuhrer




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Mise à jour : 30.10.2005
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