
Une
Autre
Voix
Juive
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Débats
Dominique Vidal : si le ridicule tue...
Dominique
Vidal, journaliste et esayiste, collabore au Monde diplomatique
où il exprime des positions proches d'Une Autre Voix Juive
concernant Israël et les Palestiniens. Il répond, dans un
message reproduit ici, aux calomnies et aux insinuations
antisémites diffusées sur le site du Réseau
Voltaire, actuellement soutien actif du Hezbollah et du gouvernement
iranien.
Le 02-09-2010 Dominique Vidal a écrit :
Chères Amies,
Chers Amis,
Depuis que cette
(modeste) liste de diffusion reprend l’essentiel des
communiqués et analyses de l’Association France Palestine
Solidarité (AFPS), c’était, hier, la
première fois que j’y intervenais de manière
personnelle.
Mon message d'hier
matin a poussé beaucoup d’entre vous à
m’écrire leur solidarité, et je les en remercie
très sincèrement. Plusieurs ont émis un doute sur
l’opportunité d’un droit de réponse sur le
site du Réseau Voltaire. De fait, le webmaster de celui-ci
n’a, jusqu’ici, pas répondu à ma demande, et
je partage l’idée qu’il y a mieux à faire,
à commencer par assurer la réussite de la manifestation
d’après-demain contre le racisme et la
xénophobie…
Que le Réseau
Voltaire me présente comme un « militant sioniste »
chargé de « faire aimer les Israéliens par le
lectorat réputé pro-palestinien » du Monde
diplomatique est, à vrai dire, plus grotesque que diffamatoire.
Comme je l’écrivais hier matin, si le ridicule tuait,
Thierry Meyssan serait mort - et j’ajoute : depuis longtemps.
Sauf que le responsable de l’articulet me visant a cru utile
d'ajouter le nom de mon père (Sephiha) au mien (Vidal) et de
publier une photographie où je figure à ses
côtés lors de la légation de sa bibliothèque
au « Mémorial de l'Holocauste ».
Cette ligne jaune, sournoisement mais nettement franchie, mérite quelques commentaires :
1) Oui, mon père
- comme presque toute ma famille paternelle - a été
déporté, en l'occurrence à Auschwitz. Quelques
années après son retour, il a choisi de consacrer sa vie
à la renaissance de la langue et de la culture
judéo-espagnoles. A 85 ans, c'est tout naturellement qu'il a
voulu, via le Mémorial de l’Holocauste, rendre sa
bibliothèque linguistique unique plus accessible aux chercheurs
et aux étudiants du monde entier, et je l'y ai évidemment
accompagné ;
2) C'est pour une bonne
part cette histoire familiale qui – avec l’engagement de ma
mère dans les réseaux de « porteurs de valise
», pendant la guerre d’Algérie - m'a conduit,
à 17 ans, en pleine guerre de 1967, à m'engager dans le
soutien aux droits nationaux du peuple palestinien, convaincu que
j’étais que leur réalisation conditionnait
l’instauration d’une paix durable pour tous les peuples du
Proche-Orient, Israéliens compris – je rappelle aux plus
jeunes qu’à l’époque, on ne parlait que
d’un « problème de réfugiés ». A
cet engagement, comme on sait, j'ai consacré, depuis,
l'essentiel de ma vie de journaliste, d'écrivain et de militant.
Pour trois raisons :
- parce qu'il faut
tirer une fois pour toutes les leçons universelles du
génocide des juifs, paradigme de tous les génocides de
l'Histoire – et, au XXe siècle, des Herreros aux Rwandais,
en passant par les Arméniens et les Khmers, et d’autres
encore. Car l'Humanité n'a pas été vaccinée
contre l’horreur, quand bien même nos aînés
ont juré : « Plus jamais ça ! » ;
- parce que la terrible
injustice commise en Occident à l'égard des juifs ne
saurait entraîner ou légitimer une autre injustice : la
dépossession de la terre et de la souveraineté d’un
peuple qui n'a eu aucune responsabilité dans le génocide.
La Nakba n’est bien sûr pas la Shoah, mais sa
reconnaissance et sa réparation constituent une des principales
clés d'un avenir pacifique ;
- parce que la
colonisation, la répression, l'humiliation des Palestiniens
entachent le judaïsme, surtout lorsqu'elles sont
perpétrées au nom des survivants du génocide.
Vieux débat, en vérité : entre Spinoza et ses
excommunicateurs, entre Martin Buber et Vladimir Jabotinsky, entre la
MOI et l’UGIF[i], entre Taayouch et
Nétanayahou-Barak-Lieberman, il est temps, plus que temps que
les juifs eux-mêmes choisissent ;
- parce que seul un
règlement juste et durable entre Israéliens et
Palestiniens, fondé sur le droit, permettra aux uns et aux
autres, ainsi qu’à toute la région, de vivre enfin
en paix et, je l'espère jusqu'à y croire, en harmonie.
3) Ce que
d’aucuns ne comprennent pas - plus exactement : qu'ils
comprennent, mais redoutent -, c'est que la défense des
leçons universelles que l'on peut et que l'on doit tirer de la
Shoah et celle des droits des Palestiniens non seulement ne sont pas
contradictoires, mais s’inscrivent dans un seul et même
combat. On peut l’appeler combat pour la liberté, pour les
droits humains, pour la fraternité, pour l’humanité
ou même pour la civilisation. D'ailleurs, hier, dans la nuit et
le brouillard, « ils s'appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel
»…
4) Ceux qui affirment
servir la cause palestinienne en la transformant en bataille
ethnico-religieuse et en s'en prenant aux juifs, a fortiori en niant
leur génocide, servent en fait – grossièrement,
mais clairement - la stratégie anti-palestinienne de Netanyahou
et consorts. La force de la bataille des Palestiniens pour leurs droits
imprescriptibles, c'est justement qu'elle n'est pas religieuse et
encore moins raciale, mais politique : il s’agit d’imposer
le droit international, qui doit s’appliquer à eux comme
à tous les peuples, israélien compris.
L'antisémitisme,
comme l'islamophobie et toute autre forme de racisme, ne profitent pas
à la Palestine, ils l'assassinent. Faut-il encore
l’écrire aujourd'hui ? Je n'aurais pas imaginé, il
y a peu, que ce soit encore nécessaire. Hélas,
c’est même indispensable. Comme le soulignaient les
intellectuels palestiniens et arabes qui protestaient, en 2002, contre
les violences antisémites en France, « nos
partenaires et nos partisans les plus précieux sont les
Israéliens et les juifs qui œuvrent, au côté
des Palestiniens, contre l'occupation, la répression, la
colonisation et pour la coexistence de deux États souverains
palestinien et israélien. Un grand nombre d'entre eux ont une
histoire familiale tragique, marquée par l'Holocauste. A nous
(...) de les rejoindre sur cette ligne de crête qui consiste
à savoir quitter la tribu quand il s'agit de défendre les
droits et les libertés universels ».
Dominique Vidal.
PS : Je ne reviens pas
sur le texte de Pierre-Yves Salingue, espérant seulement que ce
dernier aura l'honnêteté, comme l'écrit fort bien
l'un de vous, de dénoncer son instrumentalisation par le
Réseau Voltaire…
[i] C’est dans les groupes de la Main d’œuvre
immigrée (MOI), constituée par le Parti communiste
français, que se recrutèrent les premiers groupes de
résistance armée, composés notamment de juifs,
d’Arméniens, d'Italiens et d'Espagnols. Pendant, ce temps,
l’Union générale des israélites de France
(UGIF), créée par Vichy…
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