
Une
Autre
Voix
Juive
|
Les juifs,
des gens comme les autres ?
Ce texte est issu d’une réflexion
personnelle
et n’est qu’une mince contribution
aux débats
sur
les questions qui y sont abordées.
Juive je suis, peu par culture,
encore moins par religion, mais par l’Histoire, la grande, dans
laquelle
s’inscrit la petite, celle de ma famille qui a fait que je suis née
pour
« remplacer » une sœur morte en déportation. Un peu comme on
parle de
caractères sexuels secondaires, se dire juif n’est qu’un des composants
d’une
personnalité. Il n’a qu’une importance
relative. Au quotidien il ne me différencie pas
des autres citoyens français et ce n’est que lorsque de rares
manifestations
d’antisémitisme qui me visent, ou plus largement
visent les juifs, se font jour, que j’éprouve le besoin de revendiquer
cette
caractéristique.
Je ne me sens
pas appartenir à un
peuple, car je ne crois pas que les juifs en forment un, tout au plus à
un
groupe de personnes, à une famille française, mais aussi suisse
alémanique et
romande et sans doute venant plus lointainement d’autres pays de l’Est,
qui a
en commun un passé qui rapproche ses membres parce qu’il a forgé leur
identité.
Je ne crois pas non plus à une communauté juive. J’appartiens à un
pays, à un
continent, au monde, à l’espèce humaine. Je ne suis pas attirée par
Israël, pas
plus que par le Birobidjan et dénie le droit au gouvernement israélien
de
parler au nom des juifs. Je suis fort troublée quand je vois les
victimes de la
tuerie de Vincennes enterrées en Israël, cela n’a aucun sens pour moi.
.Pas de
prétention dans les
commentaires qui vont suivre, sinon de dire ce que je ressens après
l’émotion
suscitée par les attentats de ce début janvier. On ne peut que se
réjouir de la
mobilisation immédiate et des rassemblements jusqu’aux grandes
manifestations
du 11. Il ne faut pourtant pas occulter les divergences entre les
manifestants, ni
oublier que tous n’étaient pas là pour la liberté d’expression. On sait
que
nombre de personnes ont hésité ou reculé à descendre dans la rue aux
côtés de
dictateurs, qui eux aussi étaient là pour des raisons diverses. On peut
penser
que si des juifs n’avaient pas été tués, le 1er ministre
israélien
et son ministre des affaires étrangères, pas plus que bien d’autres ne
se
seraient déplacés pour les dessinateurs de Charlie Hebdo. Tout est bon
pour se
faire voir sous un bon éclairage par son opinion publique à la veille
d’élections surtout.
On se rend particulièrement
compte des réticences ou des interrogations à « être
Charlie » quand
on relève les difficultés qu’ont eu beaucoup d’enseignants à faire
respecter ou
même à initier une minute de silence dans leur classe. Nombres
d’élèves, sans
approuver les attentats, partagent l’idée que la religion ne doit pas
être
tournée en dérision et de ce fait comprennent mal l’interdiction de
spectacles
de Dieudonné, qui, pour eux ne va pas plus loin dans la moquerie sur
les juifs
que les dessinateurs de Charlie Hebdo lorsqu’ils caricaturent le
prophète. Expliquer que la Loi ne punit pas
ce que les croyants nomment le blasphème et qu’en revanche elle
réprouve et
poursuit les auteurs de propos racistes et négationnistes, n’est pas
facile à
faire admettre, surtout à des jeunes souvent stigmatisés et parfois
victimes
eux-mêmes de racisme.
Par
ailleurs dans le contexte
actuel où on relève plus souvent des propos et actes d’antisémitisme
[même si
arabes et musulmans sont encore plus fréquemment et plus constamment
agressés],
je crois qu’on ne se penche pas suffisamment sur le particularisme que
constitue l’antisémitisme et ce qu’il recouvre. Pourquoi lorsqu’on combat les
discriminations distingue-t-on l’antisémitisme des autres formes de
racisme, de
la même façon qu’on met à part le sexisme et les autres rejets liés au
genre ? Qu’est-ce qui en fait un phénomène particulier ? Si
le racisme et la totalité des
autres discriminations sont liés à des appréciations et jugements
négatifs, à
des désavantages prêtés à des pseudo « races »,
l’antisémitisme est
une forme de rejet différente –outre la confusion entre religion et
« race »- puisqu’il dénonce des
« avantages » supposés: la marque des juifs, de ce
« peuple »,
serait son intelligence et sa culture dévoyées qui l’auraient porté au
sommet
de la finance internationale, à la richesse, au pouvoir. Au fond, mais
ce n’est
là qu’une interprétation, le « peuple »juif, peuple
« élu »
aurait profité de la bonté du Créateur pour détourner les bienfaits
dont il avait
été comblé par Lui, montrant là son opportunisme et son aptitude à la
rouerie,
la tromperie. Aussi
ni les préjugés, ni les
formes de racisme ne sont-ils comparables, même si toutes les facettes
du
racisme puisent leurs sources dans l’Histoire, dont l’étude aide à
comprendre
pourquoi telle population à été réduite en esclavage ou pourquoi les
juifs se
sont retrouvés cantonnés dans certains métiers.
Les êtres jugés « inférieurs »,
doivent être traités comme tels donc supprimés s’ils deviennent
menaçants ou
traités comme des enfants éternellement englués dans leur infériorité.
Les
comparaisons animales sont fréquentes, en particulier lors de
performances
physiques, seul domaine où ces humains seraient capables de se
distinguer. Les
juifs, dont il faut d’autant plus se méfier que leur intelligence les
rend plus
dangereux, n’ont été comparés qu’aux rats, intelligents mais
malfaisants et se
reproduisant trop vite; il s’agit de saper leur pouvoir, de dénoncer et
détruire les lobbies qui leur permettraient de régner totalement sur le
monde,
de les empêcher de se reproduire. La notion de pouvoir est centrale,
elle
l’était dans la volonté hitlérienne de faire disparaître définitivement
les
juifs et elle est aujourd’hui utilisée dans les théories du complot qui
travestirait
la réalité et aurait réalisé les montages du 11 septembre en
particulier. Les clichés et stéréotypes
racistes et antisémites sont ici caricaturés, mais ils sont souvent
insidieux
et la supposée intelligence des juifs est parfois relevée par des gens
qui
poussent des hauts cris quand on les soupçonne pour le moins d’un
manque de
clarté. Ainsi on pouvait lire dans l’éditorial de Télérama du 23 août
2006 à propos de la guerre
menée par Israël au
Liban et s’agissant des juifs… « c’est
ici que des hommes parmi
les plus intelligents de la planète…» On se demande qui sont les plus
cons de
la planète et quels sont les critères permettant de valider une
hiérarchie des
groupes humains dans ce domaine comme dans d’autres ! Attribuer
des qualités ou des défauts
à des gens du seul fait de leur appartenance à une ethnie ou une
population
spécifique revient à affirmer que les peuples ont des particularités
génétiques
qui les différencient et les classent en fonction des supposées
performances
sur une échelle de mérites. Et si ceux qui revendiquent haut et fort
leur
antiracisme sont capables de tels écrits, cela augure mal du combat qui
reste à
mener contre les préjugés tenaces qui encombrent les cerveaux.
Le
problème se complexifie,
lorsqu’on ajoute au racisme particulier qu’est l’antisémitisme, les
conséquences de la 2ème guerre mondiale puis l’émergence
d’Israël en
même temps que d’une mauvaise conscience, d’une culpabilité qui ne
s’avouent
pas. Les juifs et Israël « bénéficient » d’un statut
particulier. La shoah
a créé une sorte de fracture, légitime par son ampleur - son extension
à toute
l’Europe - et les formes « scientifiques » de destruction qui
ont été
employées, mais pas entièrement justifiable si on se réfère à d’autres
massacres ou génocides qui l’ont précédée ou
qui
l’ont suivie. En ce sens là aussi l’image des juifs se différencie,
peut-être
parce que la mauvaise conscience européenne et américaine a des racines
plus
lointaines que la barbarie du 20ème siècle et que les
pouvoirs
occidentaux ont eu connaissance des camps et de ce qui s’y perpétrait
bien
avant 1945. Il faut évidemment une analyse plus approfondie et étayée
qu’elle
ne l’est ici pour répondre à toutes les questions qui se posent à ce
sujet. D’autres types de gens ont été
victimes du nazisme et ont continué longtemps à être ostracisés s’ils
ne le
sont pas aujourd’hui encore –les tsiganes, les homosexuels…- sans que
cela
soulève autant de remords. Dans ce contexte particulier, la
création de l’Etat d’Israël et encore plus les conditions de son
développement
créent une confusion supplémentaire. Même si certains aujourd’hui se
sentent en
insécurité et désirent faire ce qu’ils appellent leur
« alya » -on se
demande d’ailleurs comment on peut se sentir plus en
« sécurité »
dans un pays en guerre permanente avec ses voisins !- la majeure
partie
des juifs occidentaux se sentent bien dans les pays où ils sont
intégrés depuis
des siècles et c’est tout particulièrement vrai en France.
On ne peut nier que l’Etat
d’Israël soit l’objet d’une attention et d’une partialité
exceptionnelles. Quel
autre pays jouirait d’une telle faveur en menant la même politique
d’agression ? Comment les occidentaux qui parlaient pour la RDA
d’un mur
de la honte, peuvent-ils trouver normal l’érection d’un mur tout aussi
honteux
par Israël ? Comment justifient-ils les répressions, le blocus de
Gaza,
etc. ? Israël bénéficie d’une indulgence incomparable,
inexplicable sauf au regard de
l’Histoire du siècle précédent et les gouvernements occidentaux, ainsi
que
certaines autorités et personnalités qui maintiennent l’amalgame entre
opposition à une politique et antisémitisme en sont responsables. Cette
confusion est, je le crains, entretenue comme l’est une arme de guerre
par
Israël. C’est une arme commode, facile à exploiter et sa résonance est
d’autant
plus trouble qu’elle se base chez une partie des juifs sur la vision
d’Israël
comme terre sainte et chez les non juifs sur la pénitence méritée par,
au
minimum, le laissez faire des années de guerre. Bien sûr
l’histoire d’Israël et
le conflit palestinien qui génèrent une forte dose d’antisémitisme ne
suffisent
ni à expliquer complètement l’expansion des actes antisémites, ni bien
sûr à
comprendre totalement l’attrait de l’islamisme et du djihad chez
certains
jeunes.
Il faut aussi prendre en compte que notre début de siècle voit
s’épanouir le
fait religieux, avec des extrémismes pas seulement musulmans, mais
aussi juifs
et chrétiens on comprend mieux que fleurissent le rejet, le racisme.
Durant les
« trente glorieuses » on voyait peu le religieux. Kippa,
foulard ou
crucifix étaient quasi invisibles, sauf chez ceux qui exerçaient une
fonction
religieuse. Les signes extérieurs d’appartenance étaient, comme le veut
la
laïcité, l’objet d’un choix personnel. Les discriminations et racismes
n’avaient pas disparu pour autant, mais étaient surtout liés aux
guerres
coloniales, d’où venaient en France des injures nées autour du Vietnam
ou de
l’Algérie.
Depuis
un certain nombre
d’années, on assiste au retour du religieux, phénomène lié en partie du
moins
au recul des idéologies les plus porteuses d’espoir, à la recherche
d’autres
explications du monde, d’idéal …et on constate cela un peu partout. Pas
assez de réflexion, de questionnement, de débat, sauf entre initiés, et
pas
de réponse non plus de l’école qui n’a jamais eu les moyens de
pratiquer une
vraie éducation citoyenne. Et c’est dans les secteurs où on en aurait
le plus
besoin qu’elle est le plus absente. Les moyens humains et matériels
alloués aux
zones les plus délaissées sont dérisoires. La formation des maîtres,
certes pas
parfaite dans les IUFM, avait été abandonnée un temps sous le mandat
précédent,
accréditant l’idée que n’importe qui peut être enseignant et renforçant
encore
la dégradation de l’image des profs. Les tentatives de démocratisation
ont
souvent été vaines, il suffit d’observer les statistiques pour
constater
l’échec de notre système qui ne parvient pas à réduire les inégalités
et risque
même de les renforcer.
Quant à la politique de la ville,
elle a échoué également et on peine à réinstaller un semblant de mixité
sociale
dans des quartiers ou des zones où se sont retrouvés pêle-mêle tous
ceux dont
on ne voulait pas. Trop souvent ce qui permettrait
de donner des chances de s’épanouir à ceux qui sont les plus délaissés,
à
savoir soins, éducation et culture, recherche de justice sociale par la
redistribution, prévention, habitat…est abandonné sous prétexte de
manque de
moyens financiers au profit d’une politique économique favorisant les
plus
riches et de la répression, solutions de facilité qui permettent à la
fois de
contenter les marchés financiers et de « mordre » sur les
platebandes
de l’extrême droite en stigmatisant les étrangers, victimes faciles et
donc
cibles de la haine dans les périodes où il est bien commode d’avoir un
bouc
émissaire. Comment s’étonner que les
préjugés, les stéréotypes s’ancrent dans des populations qui vivent des
discriminations quotidiennes et sont reléguées dans des ghettos ?
Comment
s’étonner que des jeunes qui n’ont aucune perspective d’avenir soient
tentés
par des discours qui les valorisent ? Comment s’étonner que
l’antisémitisme fleurisse chez des gens qui constatent jour après jour
qu’assassiner un palestinien ou un africain est considéré comme moins
grave que
d’assassiner un israélien ou un occidental ? Comment faire cesser
l’assimilation de toute critique de la politique israélienne à de
l’antisémitisme ?
Combattre l’islamisme et autres
extrémismes ne peut se faire que si on arrête de protéger abusivement
la
politique des dirigeants israéliens qu’on qualifierait d’extrême droite
voire
fasciste si elle était menée sous d’autres cieux.
Combattre
l’islamisme ne peut se
faire qu’en analysant réellement la situation mondiale, en cherchant
les vraies
racines des replis communautaires et des dérives, des violences. Non,
le lobby
juif ne gouverne pas le monde, mais les banques et les capitaux sont
les clés
du pouvoir et ceux qui les détiennent n’ont ni morale, ni religion, ni
état
d’âme. Défendre nos valeurs, mettre en
exergue la devise « liberté, égalité, fraternité », c’est
bien, mais
quelle crédibilité dans un monde où règnent les inégalités,
l’enfermement et la
torture , où on laisse crever ceux qui ont l’audace de vouloir partager
un peu
du bien-être occidental et où ceux qui prônent ces valeurs n’en sont
pas
respectueux ?
Comment ne pas rire en entendant
que le problème de la liberté d’expression risque de compliquer les
toutes
récentes relations entre Cuba et les Etats-Unis, alors que la torture
et
l’enfermement en toute illégalité sont pratiqués par les USA à
Guantanamo sur
l’île de Cuba? Quand on met
ainsi en parallèle
certains faits on ne peut s’empêcher de s’interroger sur ce monde de
contradiction permanente où nous vivons. Penser
que les classes sociales
et l’exploitation de l’Homme par l’Homme sont mortes en même temps que
les pays
socialistes ont disparu, c’est se bercer d’illusions. Malheureusement,
dans
notre monde du 21ème siècle, beaucoup ne remettent plus en
cause
l’idéologie capitaliste, le profit, le mérite individuel dont le
prototype
naguère était l’américain volontaire et courageux et qui serait plus
aujourd’hui l’être rusé et déterminé à arriver coûte que coûte quels
que soient
les moyens, licites ou illégaux pour y parvenir. Aujourd’hui c’est ce
qui
domine, y compris dans les pays qui ont tenté l’aventure socialiste et
ainsi
progressent inexorablement la pauvreté matérielle et intellectuelle,
les
inégalités qui sont sources de toutes les envies et qui permettent de
gober
toutes les explications rapides et primaires assénées par les Le Pen et
autres
politiciens d’extrême droite ou récupérateurs de tous ordres dont ceux
qui se
réclament d’un Dieu, dont l’énorme avantage est qu’on peut lui faire
dire
n’importe quoi sans qu’il émette la moindre protestation.
Ma judéité affirmée en préambule
fut une évidence, comme si elle justifiait une prise de parole qui
pourtant
pourrait être celle, tout aussi légitime, de personnes de tous
horizons.
Pourquoi me situer ainsi, alors que je soulignais dans le même temps
que cette
spécificité n’était qu’une composante de ma personnalité ? Sans
doute cela
m’a-t-il permis de peser sur le discours, d’attirer l’attention en
démontrant
qu’on ne peut classer quelqu’un par un pan de son histoire quelle que
soit son
importance, que chacun est multiple et qu’on ne peut figer une personne
dans
une appartenance qui impliquerait une communauté de pensée. Sans doute
aussi
pour donner un éclairage différent et éviter ou rendre plus difficiles
d’emblée
les accusations d’antisémitisme qui ne manqueraient pas de survenir si
je
n’avais pas pris la peine de le faire. Enfin, il m’a semblé que, même
relativisée, cette part de moi est un des éléments d’identité qui
me différencie d’autrui et
qui, en ce sens, nécessite d’être dit.
Marie-Jo Ehrhard-Weil
Enseignante/
Formatrice
Février 2015
|



Pour
réagir,
écrivez
nous !
|