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![]() Une Autre Voix Juive |
Récemment,
dans
une librairie, ce titre m’a sauté aux yeux. J’ai tout de suite su ce dont il s’agissait. Je
m’appelle Combase
et je suis née Lichtensztejn. Ce titre, cette exclamation m’a paru
s’adresser
personnellement à moi ! Combase est mon « nom de jeune
fille »
et je tiens beaucoup à le joindre à mon nom d’épouse, comme mon premier
nom.
Mais en fait, ce n’est pas lui le premier, je ne suis pas née sous ce
nom. « Rendez-nous
nos noms ! » Enfant, puis adolescente, j’ai pensé, avec mes
frère et
sœur, à reprendre le nom dont mon père avait changé, officiellement en
1955
alors que j’avais 8 ans. J’imaginai donc immédiatement que ce devait
être le
sujet de ce livre et c’est sans doute pourquoi, sans réfléchir,
j’ai vite
quitté la librairie, sans l’acheter ! Je croyais cet ancien
problème réglé,
intégré, et voilà qu’il faisait retour ! Cela
n’avait rien
d’un hasard, il était là en sourdine ces derniers temps : je
venais de
participer à la commémoration, au Mémorial de la Shoah, du convoi de
déportés
n° 51 du 6/03/43 qui avait emporté mon grand-père paternel, Leib
Lichtensztejn,
de Drancy à Auschwitz et de lire en public, dans la longue liste des
déportés
de ce convoi, les noms commençant par L. Dix ans plus tôt, le 6 mars
2003, ma
nièce Alice m’avait accompagnée au 60ème anniversaire de ce
convoi à
Drancy : le mur de la Shoah n’avait pas encore été créé rue
Geoffroy Lasnier
à Paris. Alice, héritière d’un quart d’origine juive, avait eu le
courage de
prendre la parole pour rendre hommage à son arrière grand-père. Quelques
années
plus tôt, c’est la consultation aux archives de l’immense travail
historique de
Serge et Beate Klarsfeld qui m’avait permis d’identifier ce convoi. Par
les
récits familiaux, je savais que mon grand-père avait été raflé, en zone
libre,
à Miribel, dans l’Ain, il avait 56 ans. Cette rafle concernait les
hommes
« en état de travailler » ; ma grand-mère, Ita, et leur
plus
jeune fille, Marie, en réchappèrent donc. Des voisins les avaient
dénoncés,
d’autres les ont prévenus mais ils ne les ont pas crus. Il a été plus
difficile
de retrouver la trace de leur fille aînée, Michala Szwarc, faute de
connaître le
prénom et le nom sous lesquels elle avait été arrêtée, le jour de la
rafle du
Vel’ d’hiv, le 16 juillet 1942. Ce jour-là, elle avait accompagné ses
parents,
en route pour la zone libre, à la gare de Lyon. Elle portait l’étoile
jaune.
C’est ainsi qu’elle avait déjà procédé plusieurs fois pour accompagner
d’autres
familles afin de leur permettre de s’échapper en cas de contrôle. Et
cela
fonctionna pour ses parents qui purent rejoindre la zone libre… Mais
elle fut
contrôlée et arrêtée. Michala venait d’avoir 30 ans, le convoi n° 34
l’emporta
vers Auschwitz le 18 septembre 1942. Elle aussi figure sur le mur de la
Shoah. Avec
près de 60 ans de retard, ils ont trouvé là, sinon une sépulture, du
moins un
lieu pour qu’il soit possible d’honorer leur mémoire. Alors,
il me
fallait ce livre, je retournai le chercher dès le lendemain et le lus,
d’un
trait. Je voulais savoir ce que pensaient les autres. Après
la guerre,
bien d’autres juifs de la génération de mon père, venus eux aussi des
pays de
l’Est de l’Europe, ont changé de nom. Actuellement, certains de leurs
enfants
souhaitent reprendre le nom de leurs grands-parents, et témoignent dans
ce
livre. Chacun raconte son histoire et développe sa problématique, ce
que
représente pour elle ou pour lui l’adoption d’un nom qui sonne
« français »
pour son père ou pour les plus jeunes, son grand-père, et le choix d’un
retour
au nom des origines pour lui-même. Leurs histoires ressemblent à la
mienne.
Juif
né en Pologne,
à Wloclaweck, en 1914, il est arrivé en France, à Paris en 1921 avec
ses parents
et ses deux sœurs. Son père était tailleur et, après quelques détours,
il
suivit la même voix, permettant ainsi à ses sœurs de poursuivre des
études un
peu plus longtemps. Dès sa majorité, en 1935, il fut naturalisé :
la loi
de 1927 était beaucoup plus souple que celle qui est maintenant en
vigueur. Il
souhaitait s’intégrer, devenir citoyen de ce « pays des droits de
l’homme » qui l’avait accueilli avec sa famille. De 1936 à 1938 il
accomplit
donc son service militaire puis rempila pour faire les EOR (Ecole des
Officiers
de Réserve). En 1939 il fut mobilisé. Fait prisonnier, il réussit à
s’évader et
rejoignit le maquis dans lequel il s’engagea jusqu’à la fin de la
guerre. C’est
là que ses camarades des FFI (2ème bataillon des Glières)
lui
établirent, pour des raisons de sécurité évidentes, de faux papiers au
nom de Willy-François
Combaz, cultivateur. Willy ne faisait pas très français, mais c’était
son
diminutif usuel pour Owadja et il avait sans doute éprouvé le désir de
se
reconnaître un peu. À
la maison, cette
histoire de nom n’était pas un secret,
on en parlait même beaucoup. Il nous était cependant interdit d’en
parler au
dehors, car nos parents craignaient que ce soit dangereux. Ma
sœur, mon frère
et moi savions que notre père avait voulu garder son nom de résistant,
pour
nous protéger au cas où les persécutions contre les juifs se
reproduiraient,
mais aussi parce qu’il était fier de ses neuf années sous les drapeaux
et
entendait le mot combat dans le nom Combase. Nous savions aussi que
notre nom
s’écrivait Combase parce qu’un sieur Combaz de Marseille s’était pourvu
en
justice pour protéger son nom contre des juifs. Notre
mère n’était
pas juive. Antoinette Boyer naquit à
Paris en 1914 de parents d’origine aveyronnaise. Son père, gazé pendant
la
Première Guerre, mourut en 1921. Elle était pupille de la Nation. Sa
mère,
veuve, tenait un bureau de tabac à Paris et elle l’aidait à tenir ce
commerce.
En 1946, un mariage entre un juif et une
chrétienne n’allait pas de soi. Ce non-conformisme plaisait bien à mes
parents.
Nous savions aussi que si nous étions juifs pour les nazis et les
antisémites, nous
ne l’étions pas selon la religion juive pour laquelle cette qualité ne
se
transmet que par la mère. C’était bien difficile à comprendre, à
admettre : en quoi la religion pouvait-elle empêcher que nous
soyons juifs
par notre père, à moitié juifs selon mon raisonnement d’alors ? En
tout
cas, nous le savions et ces contradictions faisaient partie de
l’histoire de
notre famille. À
propos du Service
Militaire, de la Guerre et de la Résistance, mon père était
intarissable. Il y
avait passé neuf ans ! Je regrette beaucoup d’avoir mal écouté.
J’ai tout
de même retenu qu’il avait participé à l’opération de parachutage
d’armes pour
la Résistance du Plateau des Glières puis à la bataille du même nom, au
début
de l’année 1944, avec les FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) sous
le
commandement du Maréchal de Lattre de Tassigny. Il avait été
successivement
chasseur alpin, brancardier, correspondant de guerre, chauffeur de
presse… Il
avait traversé l’Alsace, la Savoie, la Suisse, … Mes
souvenirs sont
plus précis et bien plus chargés d’émotion au sujet des disparus, son
père et
sa sœur, dont il nous demandait de ne pas parler au dehors. Il avait
gardé – et
nous avons toujours – leurs lettres reçues de Drancy et de Gurs, alors qu’ils étaient internés, avant le
départ pour les camps de la mort. Parfois, mes parents sortaient ces
lettres du
tiroir de leur chambre où elles étaient rangées et nous les lisaient à
haute
voix, pour que nous comprenions ce qui était arrivé et les faire vivre
à nos
yeux. Chacun de nous a eu en deuxième prénom l’un des
leurs francisé :
Léon pour mon frère, Madeleine et Michèle pour ma sœur et moi. Les
lettres de
Leib, notre grand-père sont brèves et se veulent rassurantes. Celle de
sa fille
Michala, qu’on appelait Madeleine, sont elles, détaillées,
très longues, d’une écriture
minuscule et très serrée. Elles racontent le quotidien du camp
d’internement,
donnent des nouvelles de connaissances également internées en disant à
qui il
faut les transmettre. Elles demandent en échange des nouvelles de
chacun des
amis en disant combien les vagues « tout va bien »
l’angoissent plus
que tout. Elle réclame à sa mère son rouge à lèvre et de rétrécir la
jupe noire
qu’elle doit lui envoyer parce qu’elle a maigri. Elle réclame aussi de
la
nourriture et explique comment cacher des lettres à la censure en les
pliant
dans un tube d’aspirine. Il
y avait aussi
l’histoire de l’arrivée à Paris, en 1921. L’hébergement de la famille
chez des
cousins installés depuis quelques temps, chez qui on dépliait des lits
de camps
dans l’atelier et le couloir. Et
encore le
retour des rescapées à la Libération, ma grand-mère et ma plus jeune
tante,
dans l’appartement parisien, dans lequel « il ne restait même pas
une
petite cuiller ». Plus
couramment,
mes parents évoquaient notre situation avec un humour particulier
qu’ils nous
faisaient partager. Ainsi, ma mère ayant les yeux très bleus et le
teint mat,
étant aussi de loin la plus commerçante des deux, beaucoup dans leur
entourage
pensaient que c’était elle qui était juive. Notre nom de Combase
encourageait
sans doute un peu cette erreur. Du coup, quand nous voulions nous
demander
entre nous si un tel était juif, nous disions : « c’est un
aveyronnais, n’est-ce pas ? » L’un de mes parents ajoutait
parfois
qu’il fallait bien deux juifs pour rouler un aveyronnais. Lors d’un
voyage au
bord du Rhin, notre père entreprit de nous apprendre quelques mots
d’allemand ; nous entendant répéter ses mots, avec ses
intonations, il
nous fit taire très vite, trouvant que nous parlions l’allemand avec
l’accent yiddish.
C’était comme lui, incorrigible ! Ma
grand-mère
maternelle, Mémé, la parisienne de l’Aveyron, vivait avec nous, tandis
que
Bouba vivait chez sa fille, mariée à un juif polonais. Petite, je
craignais un
peu les rencontres entre mes deux grand-mères. À Pâques, Bouba venait à
la
maison avec son pain azyme et parlait yiddish avec mon père tandis que
Mémé
faisait des secrets avec sa fille dans son patois auvergnat. J’en
comprenais
assez pour savoir que chacune parlait des autres… Je compris vite que
ce
n’était pas grave et que chacun restait attaché à la musique de sa
langue. J’en
trouvai un jour
l’éclatante confirmation : mon institutrice du Cours Préparatoire
était
une jeune antillaise et je l’adorais. Ma grand-mère se trouvait seule à
la
maison quand un parent d’élève de ma classe, dont mon souvenir a fait
un commissaire
de Police, sonna à la porte. Il prétendait lui faire signer une
pétition pour
le renvoi de cette institutrice au prétexte que son accent était
incompréhensible pour les enfants. Mémé refusa fermement de signer et
lui dit
carrément ce qu’elle pensait de son initiative. J’en fus très émue.
J’acquis ce
jour-là la conviction que Mémé défendait les juifs sans hésiter et ma
fierté
fut très grande. Un peu plus tard, elle, qui était allée à l’école chez
les
sœurs et qui avait une tante religieuse, envoya promener le curé venu
lui
demander pourquoi nous n’étions pas inscrits au catéchisme, sans lui
donner
aucun motif. Née en 1891, élevée dans la religion catholique par des
parents
aveyronnais, influencée peut-être par le mariage de sa fille et les
sentiments
qu’elle nous portait, après la guerre, ma grand-mère prenait position
fermement
en faveur des droits universels de l’homme et du citoyen. Du
côté paternel,
le respect des autres était aussi très clair. Au moment de la mort de
mon père,
mon frère envisagea de le faire enterrer en terre juive puisque les
« Amis
de Wloclaweck »- son lieu de naissance - ont une concession au
cimetière
de Bagneux. Ma sœur et moi nous demandions ce qu’il aurait souhaité. La
sœur de
mon père nous sortit d’affaire : elle était certaine qu’il ne
l’aurait pas
voulu, sachant fort bien que notre mère ne pourrait pas reposer là à
ses côtés.
Enfants
puis
adolescents, ma sœur, mon frère et moi étions résolus à reprendre ce
beau nom
de Lichtenzstejn. J’ai encore le souvenir d’une expédition, menée en
cachette
des parents, dans les rues de notre petite ville. Nos cousins nous
ayant rendu
visite, nous étions sortis en chantant, « nous sommes 5 petits
youpins »… Nous-nous sentions héroïques, prêts à braver tous les
dangers
dont parlaient nos parents. Pourtant,
depuis
la mort de mon père, en 1986, le nom qu’il nous a donné est devenu une
part
essentielle de ce qu’il nous a laissé, je me le suis approprié, suivant
la
phrase célèbre de Goethe : « ce que tes pères t’ont laissé,
acquiers-le pour le posséder vraiment ». Dans « Rendez-nous
nos
noms », l’un des auteurs, M. G. Wolkowitcz, que je cite encore un
peu plus
loin, cite aussi cette phrase, sans en tirer la même conclusion, se
référant, pour
sa part, à « ses pères «, au sens général de ses ancêtres, alors
que je
m’arrête à la volonté manifestée par mon père. Si
je ne veux plus
en changer, c’est que pour moi cela
signifierait défaire ce qu’il a fait, refaire l’histoire
qui a été celle
de mes deux parents. Je n’oublie pas que mon père a voulu être un juif
assimilé
et que c’est en tant que tel qu’il s’est engagé dans l’armée française
puis
dans la Résistance. C’est cette histoire-là que je souhaite
transmettre. Il ne
m’a jamais paru que ce nom de Combase soit un obstacle à mon engagement
dans la
lutte contre l’antisémitisme et contre le racisme, c’est sous
ce nom que je me suis construite. C’est aussi
sous ce nom que je soutiens la revendication de mon attachement à l’identité juive, demi-juive par héritage, bien
que sans dieu, bien que non-sioniste. Je reprends à mon compte les mots
de mon
ami et camarade Daniel Bensaïd : « (…) non en tant que Juifs
dont la
majuscule manifesterait une essence ou une substance éternelle, mais
comme
juifs minuscules, des juifs non-juifs, ou des juifs-contre, des juifs
négatifs,
des juifs récalcitrants. Des « spinozants », selon la formule
proposée par E. Morin en hommage au premier d’entre eux » (Le
nouvel
internationalisme – Textuel 2003 – p.92, publié à l’occasion de la
sortie du
Manifeste d’avril 2003 : « Une autre voix juive »
- pour
une paix juste et durable au Proche-Orient , qu’il avait signé).
Ceci
malgré ceux des juifs qui se laissent dicter par la tradition
religieuse une
opinion toute-faite qui, me concernant, est une contre-vérité
puisqu’elle dénie
la moitié de mes origines. Certes,
comme
l’écrit l’un de ceux qui témoignent dans « Rendez-nous nos
noms »,
Michel Gad Wolkowicz, « Personne n’a raison, chacun a ses
raisons »
(p.62). Je soutiens pleinement ceux qui souhaitent reprendre légalement
leur
nom d’origine et comprends parfaitement les raisons qui sont les leurs.
Cependant je ne veux pas faire comme eux. Je ne prétends pas avoir
raison,
seulement avoir mes raisons. « Quand
le
Baal Chem Tov avait une tâche difficile à accomplir, il se rendait à un
certain
endroit dans la forêt, allumait un feu et se plongeait dans une prière
silencieuse ;
et ce qu’il avait à accomplir se réalisait. Quand, une génération plus
tard, le
Maggid de Meseritz se trouva confronté à la même tâche, il se rendit à
ce même
endroit dans la forêt et dit : « nous ne savons plus allumer
le feu,
mais nous savons encore dire la prière. » Et ce qu’il avait à
accomplir se
réalisa. Une génération plus tard, Rabbi Moshe Leib de Sassov eut à
accomplir
la même tâche. Lui aussi alla dans la forêt et dit : « Nous
ne savons
plus allumer le feu, nous ne connaissons plus les mystères de la
prière, mais
nous connaissons encore l’endroit précis dans la forêt où cela se
passait, et
cela doit suffire. » Et ce fut suffisant. Mais quand une autre
génération
fut passée et que Rabbi Israël de Rishin dut faire face à la même
tâche, il resta
dans sa maison assis dans son fauteuil et dit : « Nous ne
savons plus
allumer le feu, nous ne savons plus dire les prières, nous ne
connaissons même
plus l’endroit dans la forêt, mais nous savons encore raconter
l’histoire »,
et l’histoire qu’il raconta eut le même effet que les pratiques de ses
prédécesseurs » ( Roudinesco : Retour sur la question juive –
Albin
Michel – 2009 – p. 25 - Scholem : Les grands courants de la
mystique
juive, Paris, Payot 1973, p. 368). Il
restait
l’essentiel… un Mythe des origines, racontant le passé en suivant les
inflexions – et transformations - que chaque génération lui imprime de
plein
droit au fil du temps. Chacune
des
histoires racontées par le livre « Rendez-nous nos noms »
ainsi que
la mienne ont la valeur d’un mythe familial expliquant, donnant un sens
aux terribles
épreuves traversées par les générations précédentes, ouvrant aux
générations
suivantes les conditions de possibilité de continuer. Bien des
souvenirs qui
participent à la construction du mythe sont sans doute ce que Freud
appellerait
des « souvenirs écrans ». L’histoire peut se construire à
travers eux
en laissant relativement dans l’ombre l’impensable, l’inacceptable.
« Le
mythe est un mensonge qui dit toujours la vérité » (J. Cocteau).
adresse
de contact : uneautrevoixjuive@gmail.com |
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Mise
à jour:21.04.2013
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