Rony
Brauman rectifie une formulation trop rapide, qui a trahi sa pensée, et
s'explique sur le problème qu'il voulait soulever : la prétention du
CRIF à exprimer au nom de tous les Juifs une allégeance
inconditionnelle à la politique israélienne.
Interview de Rony Brauman
Sophie Ernst : Rony Brauman, vous avez
été interviewé par David Abiker au sujet du port de la kippa ( http://www.europe1.fr/societe/rony-brauman-entre-le-voile-et-la-kippa-il-y-a-deux-poids-deux-mesures-2651531),
et vous avez eu une formulation des plus surprenantes. Celle-ci a été
mise en exergue dans un compte-rendu de la revue en ligne Le Monde
juif (http://www.lemondejuif.info/2016/01/rony-brauman-la-kippa-est-un-signe-politique-daffiliation-a-la-politique-de-letat-disrael/).
C'est cette dernière version, avec son titre accrocheur et choquant,
qui a été très largement diffusée par les réseaux sociaux, créant une
vive émotion aussi bien chez vos habituels contempteurs ( http://www.lemondejuif.info/2016/01/propos-criminels-de-rony-brauman-sur-la-kippa-le-monde-juif-info-saisit-le-csa/),
que chez ceux qui, d'habitude, apprécient vos prises de position. Ici
même, dans le précédent billet, j'avais tenté de développer ce que je
comprenais, au delà de la bourde manifeste. Que s'est-il passé et
qu'avez-vous vraiment voulu dire ?
Rony Brauman : Certains des propos que
j’ai tenus au sujet du port de la kippa sur Europe1 ont donné lieu à
des interprétations totalement étrangères à ce que je voulais dire. Une
formulation maladroite, à l’emporte-pièce, en est partiellement
responsable et je souhaite donc préciser ma position.
Le
port de la kippa, comme celui de signes religieux visibles, revêt des
significations diverses et ne peut en lui-même être confondu avec un
manifeste politique. En l’occurrence, je suis conscient que la kippa
n’a rien à voir en elle-même avec l’Etat d’Israël, que nombre de ceux
qui la portent le font par fidélité à une tradition, par adhésion à des
obligations religieuses ou d’autres raisons personnelles et non pour
véhiculer un message politique. Plus généralement, je m’inscris dans
une conception libérale, et non anti-religieuse, de la laïcité :
celle qui accorde à toutes les religions le droit inaliénable d’exister
librement, et à tout citoyen celui d’arborer des signes religieux dans
un espace public neutre.
Il
n’en est pas moins vrai que des institutions juives, le Crif en premier
lieu, ne cessent d’affirmer au contraire que la « communauté
juive » de France est « inconditionnellement solidaire »
de l’Etat d’Israël et donc de sa politique. Je tiens à rappeler qu’il
n’en a pas toujours été ainsi : c’est en 1988 que le Crif a fait
irruption sur la scène de la diplomatie française en protestant, au nom
de la « communauté juive », contre la visite d’Arafat au
Parlement européen et sa rencontre avec le ministre des Affaires
étrangères (http://www.ina.fr/video/CAB88036449).
Jusqu’alors, cette organisation se tenait à distance de la politique
israélienne, et il est permis de déplorer cette rupture. La proximité
avec Israël s’est renforcée avec le temps pour devenir une véritable
fusion au cours des années 2000. Elle a culminé avec la manifestation
de juillet 2014 en soutien à l’attaque de Gaza assortie de demandes
d’interdiction des manifestations de solidarité avec les Palestiniens (http://tempsreel.nouvelobs.com/le-conflit-a-gaza/20140729.OBS4966/le-crif-appelle-a-un-rassemblement-pro-israelien-jeudi.html).
Revendiquer l’identification des juifs à la politique israélienne,
voilà ce qui contribue à confondre critique de la politique israélienne
et critique des juifs en tant que tels. Le Crif entretient activement
cette confusion, tout en la dénonçant avec virulence quand d’autres la
reprennent à leur compte. Mes propos hâtifs sont allés dans le même
sens, ce que je regrette vivement. J’adresse mes excuses à ceux qui
s’en sont sentis blessés. Je redis que je ne suis l’ami ou l’ennemi
d’aucun peuple mais que ma sympathie politique va vers les occupés et
non vers les occupants.
Pour
finir (provisoirement), j’invite les « amis » d’Israël à voir
le film d’Amos Gitaï « le dernier jour d’Yitzhak Rabin ».
Netanyahou y apparaît au balcon d’un immeuble, aux côtés de Sharon lors
d’un meeting électoral à Jérusalem en 1995, au-dessus d’une affiche et
d’un grand calicot. Sur l’affiche figure Rabin en uniforme SS, et sur
le calicot, l'inscription en hébreu et en anglais « Mort aux
Arabes » . Ils comprendront que, contrairement à ce qu’affirment
sans relâche le Crif et les antisémites, que nombre de juifs, porteurs
ou non de kippa, ne veulent à aucun prix être identifiés à de pareils
énergumènes politiques.