Une lettre d'Une Autre Voix Juive aux députés de
l'Assemblée nationale
Ne
votez pas la résolution de Sylvain
Maillard !
Les résultats
des élections européennes l’ont confirmé : la percée
nationaliste va partout de pair avec une poussée de xénophobie, de
racisme et
d’antisémitisme. En France aussi, cette question se pose avec gravité.
Certes,
presque tous nos compatriotes voient désormais dans les Juifs « des
Français
comme les autres ». Mais nombre d’entre eux partagent des préjugés à
leur
égard. Et, année après année, on recense plusieurs centaines d’actes de
violences antisémites. Pis, onze Français juifs, dont des enfants, ont
été
assassinés depuis 13 ans parce que nés
juifs.
C’est dire que
le combat contre l’antisémitisme, comme contre tous
les racismes, doit être mené avec force et vigilance. Il est donc trop
sérieux
pour être laissé à des politiciens dont les arrière-pensées sont
évidentes.
Ainsi le député
LREM Sylvain Maillard. Président du groupe
d’études de l’Assemblée nationale sur l’antisémitisme, il est aussi
vice-président du groupe d’amitié France-Israël. Et, chez lui, cette
amitié va
surtout aux colons juifs de Cisjordanie : il vient de participer, le 28
mai, en
compagnie des députés Meyer Habib et Claude Goasguen, à une réunion
avec le président
du Conseil régional de « Samarie ». Faut-il rappeler que tous les
gouvernements
français depuis 1967, conformément au droit international, condamnent
la
colonisation des territoires occupés et exigent qu’Israël s’en retire
afin que
puisse y voir le jour un État palestinien ?
Voilà qui
éclaire les tentatives répétées de Sylvain Maillard. Le
18 février dernier, il annonce qu’il va faire voter une loi pour
interdire
l’antisionisme, au risque de créer ainsi un délit d’opinion dans la loi
française. Dès le lendemain, le président de la République le désavoue
: « Je
ne pense pas que pénaliser l'antisionisme soit une bonne solution.» Et
le
président de l’Assemblée nationale explique : « Prendre une loi qui
pourrait
laisser entendre que critiquer la politique d'Israël pourrait être
assimilé à
un délit va poser des problèmes, (créer une) discussion interminable
qui, à la
fin, pourrait nuire à la juste cause qu'est la lutte contre
l'antisémitisme. »
Le surlendemain,
au dîner du CRIF, Emmanuel Macron annonce que la
France va « appliquer » la définition de l’antisémitisme adoptée par
l’Alliance
internationale pour la mémoire de l’Holocauste
(IHRA) comme « une certaine perception des Juifs,
qui peut s’exprimer
comme de la haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et
physiques
d’antisémitisme visent des individus juifs ou non juifs ou/et leurs
biens, des
institutions et des lieux de culte juifs ». À cette définition
indigente
s’ajoute une série d’« exemples », présentés comme des « illustrations
». L’un
d’entre eux estime notamment que « l’antisémitisme peut se manifester
par des
attaques à l’encontre de l’État d’Israël lorsqu’il est perçu comme une
collectivité juive. Cependant, critiquer Israël comme on critiquerait
tout
autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme. »
En effet, les
gouvernements israéliens développent une politique
coloniale vis à vis du peuple palestinien, foulent au pied la légalité
internationale et les multiples
résolutions de l'ONU. Une loi votée il y a un an par
la Knesset a une courte majorité,
combattue par de larges secteurs de l'opinion israélienne, fait
d'Israël
« l'Etat-Nation du peuple juif », c'est à dire un Etat à
définition
ethnique, qui fait des citoyens non juifs d'Israël des citoyens de
second rang.
Critiquer cette politique coloniale, soutenir les citoyens israéliens
et les
forces politiques israéliennes qui
combattent la loi sur l'Etat-Nation du peuple juif est
un devoir éthique.
Sylvain Maillard
ne se résigne pas. Sorti de l’Assemblée par la grande
porte, son projet revient le 26 mai par une petite fenêtre comme une
proposition de résolution « visant à lutter contre l’antisémitisme »,
soumise
au vote des députés. Au-delà d’un exposé des motifs très contestable
dans
lequel l’accroissement des actes antisémites est mis sur le compte de «
l’antisionisme », l’article unique de cette proposition de résolution
vise à
faire la promotion de la « définition » de l’IHRA qu’il « approuve sans
réserve
» !..
Dans
ses rapports 2017 et 2018, la
Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNDH) a
clairement
exprimé son opposition à la
transposition en France de la définition IHRA de l’antisémitisme.
Prévu le 29 mai,
le débat sur ce texte a été reporté. Raison de
plus pour y réfléchir à deux fois. Même sous forme d’une résolution
sans valeur
contraignante, les députés français ne doivent pas la voter : sous
couvert de
lutte contre l’antisémitisme, elle ne vise en fait qu’à limiter la
capacité de
critiquer la politique israélienne, et à soutenir la politique de la
droite et
de l’extrême droite israéliennes incarnées par Benyamin Netanyahou.
La lutte
énergique et sincère contre l’antisémitisme et le racisme
sous toutes ses formes mérite mieux que ces manœuvres indignes. Nous
n’acceptons pas que ce juste combat soit détourné au service de la
politique de
l’État d’Israël, qui viole tous les jours le droit international et les
droits
de l’Homme, qui poursuit et accélère sa politique de colonisation, et
qui a
fait adopter en juillet
2018,
dans sa loi fondamentale, des conceptions ouvertement racistes,
suprémacistes
et discriminatoires.
Une Autre Voix
Juive, fondée sur un manifeste dont les premiers
signataires furent Stéphane Hessel, Raymond Aubrac,
Pierre Vidal Naquet, Suzanne Citron et plus
de mille citoyens français juifs, vous demande de refuser la
proposition de
résolution de Sylvain Maillard.
Une Autre Voix
Juive
Paris, juin 2019
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